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LES SPÉCIFICITÉS TECHNIQUES D'UN ÉLEVAGE DE GRANDE TAILLE

Le confort des logettes est primordial. En France, nous restons sur un ratio une vache pour une logette. Car un bâtiment saturé est plus difficile à manager.© CLAUDIUS THIRIET

Les grands élevages européens ou nord-américains ont des pratiques qui peuvent paraître iconoclastes. Certaines sont parfaitement transposables aux troupeaux français de taille plus modeste, ceci pour gagner en efficacité.

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QUE SIGNIFIE MANAGER UN GRAND TROUPEAU en termes d'alimentation, de reproduction, d'hygiène et de logement ? En juin dernier, Clasel (l'OCL de la Sarthe et de la Mayenne) organisait une conférence internationale sur ce thème, avec le témoignage d'experts rompus au pilotage des grands troupeaux aux États-Unis, en Italie ou en Grande-Bretagne. Ils interviennent sur des élevages de très grande taille, jusqu'à 1 000 vaches laitières et plus, loin de notre modèle français et ses exploitations familiales. « Aujourd'hui, sur 3 500 élevages en suivi par Clasel, une centaine seulement possède plus de 100 vaches. En 2020, ils seront peut-être 300, mais la moyenne de nos exploitations laitières se situera entre 70 et 80 vaches », assure Emmanuel Lepage, responsable du pôle animal Clasel.

Qu'importe, augmenter rapidement l'effectif laitier suppose de franchir un cap, plus ou moins risqué. « Tout dépend de l'outil de production disponible. Passer de 40 à 80 vaches dans un bâtiment prévu pour 70 animaux reste un challenge technique difficile. Dans un bâtiment saturé, la maîtrise de l'alimentation, du sanitaire et de la reproduction doit être la plus parfaite possible », avertit Emmanuel Lepage. La problématique de la main-d'oeuvre qui a conduit un investisseur sur deux à choisir le robot de traite peut poser des soucis d'adaptation au moment de l'agrandissement. Une seule stalle de robot convient parfaitement à 55-60 vaches laitières. Au-delà, l'éleveur doit gérer des tensions dans le troupeau. À partir de 70-75 vaches en permanence, la deuxième stalle s'impose avec l'amortissement supplémentaire qui l'accompagne. Idem pour une configuration à deux stalles qui sera saturée dès 120 vaches laitières.

LE BÂTIMENT, D'ABORD POUR LES VACHES

« Aux États-Unis, on fait des bâtiments pour le confort des vaches. En France, on fait des bâtiments pour les éleveurs. » Cette réflexion du nutritionniste Frank Gaudin traduit le pragmatisme et le souci d'efficacité des managers de grands troupeaux. Ils vont jusqu'à saturer à 120-130 % le bâtiment des laitières (100 logettes pour 130 vaches). On ne s'embarrasse pas pour autant de cornadis, une barre au garrot suffit. Pas de dépenses inutiles non plus en bardages ou isolations, même avec des conditions extrêmes en hiver (une vache n'a jamais froid). L'objectif final est un investissement qui doit se situer entre 5 000 et 8 000 € par place. Mais on ne lésine pas sur le confort des logettes, le volume d'air, l'aération ou la luminosité.

À l'étranger, la logette creuse sur sable est largement plébiscitée par les grands troupeaux, d'abord pour son confort (plus de production par vache) et la qualité du lait obtenue. Cela suppose une gestion des effluents particulière avec des fosses adaptées. « Certes, il y a des choses à entendre dans ces conceptions du bâtiment, mais nous conseillerons toujours de rester sur le ratio 1 vache/1 place pour le confort des animaux et, en premier lieu, celui des primipares. Ensuite, un bâtiment saturé à l'excès impose une maîtrise irréprochable de la reproduction. Dans le cas contraire, les vaches qui traînent en fin de lactation à côté des fraîches vêlées perturbent tout l'écosystème du troupeau, explique Emmanuel Lepage. Certes, un grand troupeau impose le couchage en logettes pour des questions de tenue de litière et de qualité du lait. Mais une petite aire paillée équipée de cornadis n'est pas un luxe inutile pour les animaux les plus fragiles. Quant au confort des logettes, il doit effectivement être irréprochable et nous savons le faire avec des tapis, des matelas, voire de la paille. »

DES LOTS MAIS PAS N'IMPORTE LESQUELS

Qui dit grand troupeau dit gestion de lots complexe ? Pas nécessairement. Les managers limitent le plus possible le nombre de lots. « Car un animal qui change de lot pendant sa lactation subit un stress et le stress est l'ennemi du lait. » Un seul lot de vaches en lactation avec une ration complète homogène est un système simple, mais avec le risque d'avoir des vaches trop grasses en fin de lactation. Au-delà d'une certaine taille de troupeau, deux lots de début et de fin de lactation pourraient se justifier, à condition d'avoir organisé le mouvement des animaux dans le bâtiment. Mais ce modèle est de moins en moins préconisé au profit d'un allotement qui isole les primipares des autres vaches en lactation. Avec de grands effectifs, une autre configuration permettra de définir trois lots : primipares, hautes productrices et basses productrices. « Ce mode de gestion des lots est jugé plus pertinent car moins stressant pour les animaux. Il permet d'accompagner la croissance des primipares et de limiter la compétition dans le troupeau », explique Emmanuel Lepage. Ainsi, une exploitation avec trois robots pourra réserver une stalle aux seules primipares. Pour ces dernières, le vêlage à 24 mois est la règle. Cela suppose une maîtrise assez fine de l'alimentation des génisses pour atteindre les niveaux de croissance exigés (600 kg à 24 mois), en étant particulièrement attentif à la phase stratégique de 0-6 mois.

La plupart des grands troupeaux ne s'embarrassent pas de plusieurs rations pour les vaches laitières. On s'en remet à la capacité d'ingestion pour couvrir les différents besoins des animaux. L'objectif est d'apporter à l'auge une ration suffisamment riche pour exprimer un pic élevé, avec le risque d'avoir des vaches trop grasses au tarissement.

« Tout est conditionné à une maîtrise de la reproduction de façon à éviter les vaches qui s'éternisent en fin de lactation et se couvrent de gras », rappelle Emmanuel Lepage. Plus surprenant, ces nutritionnistes des grands troupeaux qui conseillent de n'avoir aucun refus mais seulement une auge encore humide. « C'est une logique économique qui se tient car, au-delà d'un certain volume, les refus coûtent trop cher. Dans nos structures françaises, accepter 2 à 3 % de refus permet de sécuriser l'alimentation du troupeau. D'autre part, nos rations incorporant souvent du foin ou de l'enrubannage, moins homogènes sur les fibres, génèrent davantage de refus », explique Emmanuel Lepage.

LES 60 JOURS OÙ TOUT SE JOUE

S'il est un point où les éleveurs laitiers français ont à apprendre de la gestion d'un grand troupeau, c'est sur la période allant de la préparation au vêlage au pic de lactation. Les managers de ces élevages mettent tout en oeuvre pour accompagner les animaux pendant ces 60 jours autour du vêlage. « L'éleveur qui réussit ce challenge a accompli plus de 80 % du travail. Mais il n'y a de place à aucune approximation pour assurer l'absence de stress à l'animal 20 jours avant la mise-bas et 40 jours après », confirme Emmanuel Lepage.

La première règle est d'isoler un lot de préparation au vêlage. C'est sur cette période clé qu'il faut développer les papilles du rumen et préparer la reproduction. Les nutritionnistes anglo-saxons s'attachent à certains ratios : 20 à 25 % d'amidon et jusqu'à 32 % pour les très hautes productrices (la qualité du colostrum serait corrélée au niveau d'amidon) ; une Baca faible bien sûr, mais aussi des approches plus exotiques à nos yeux, comme le rapport lysine/méthionine proche de 3/1, et celui des oméga 6/oméga 3 à 2,2/1. « On peut s'intéresser aux acides aminés et aux acides gras à partir du moment où tout le reste est bien calé. Au Clasel, nous avons établi une règle mnémotechnique des trois 9 pour cette préparation au vêlage : 9e mois de gestation, 900 PDI/jour, 9 UFL/jour, avec une ration type qui combine 5-6 kg d'ensilage maïs, 1,3-1,5 kg de correcteur azoté à 42 % de MAT, un minéral spécifique tarie et de la paille à volonté. » La durée du tarissement qui inclut cette préparation au vêlage varie de 45 jours pour une multipare à 60 jours pour une primipare. Les très grands troupeaux ajustent cette durée en fonction de la note d'état corporel (NEC) de la vache. Du fait de la taille des structures françaises, il apparaît souvent difficile de gérer deux lots de vaches taries.

« Ce n'est pas au tarissement que se règle une NEC trop élevée. On la subit en faisant en sorte d'anticiper un début de lactation plus difficile. Il faut s'assurer notamment d'un foie détoxifié capable de transformer cet excès de graisse », explique-t-il.

Sur le début de lactation, les managers insistent sur la prévention des maladies métaboliques. Ils disposent pour cela de plusieurs indicateurs : la mesure des corps cétoniques dans le sang à 4 jours et 14 jours, l'évaluation de la glycémie également à 4 et 14 jours, le nombre de rétention placentaire, etc. « Ils sont systématiquement dans le préventif alors qu'en France, nous sommes moins méthodiques. Nous ne faisons souvent que constater l'acétonémie, l'acidose ou les métrites. Avec l'outil Céto'Détect (mesure des corps cétoniques dans le lait), Clasel propose un service à la carte pour les éleveurs qui souhaitent une détection précoce », annonce Emmanuel Lepage.

Enfin, c'est une surprise pour personne, la ration des quarante premiers jours de lactation est très dense en énergie et en azote : 0,98 à 1 UFL pour 110-120 PDI, en respectant l'équilibre entre protéines dégradables dans le rumen et protéines by-pass, ainsi que le profil de l'amidon pour assurer les besoins sans risquer l'acidose. « Il faut beaucoup d'énergie en début de lactation et nous y parvenons avec nos ensilages de maïs, du maïs grain et l'apport de matières grasses insaturées. Ces rations très intensives fonctionnent très bien à l'étranger et elles ont un impact positif sur les résultats de la reproduction. Mais attention, une alimentation aussi riche nécessite une préparation au vêlage exemplaire pour ne pas subir de graves déconvenues. »

LA REPRODUCTION, CLÉ DE VOÛTE DU SYSTÈME

Nous l'avons vu, des vaches qui se reproduisent facilement améliorent le management global du troupeau. « La reproduction est le critère technique le plus corrélé aux résultats économiques de l'élevage », assure Frank Gaudin. Les managers de grands troupeaux utilisent des indicateurs de pilotage qui ne sont plus nos traditionnels intervalles vêlage-vêlage (IVV) ou taux de réussite en première IA. Ils parlent de taux de gestation (pourcentage de vaches gestantes à 50 jours), de coefficient de reproduction (jours moyens de lactation par pourcentage de vaches gestantes) et taux de détection de chaleurs : (vaches inséminées par vaches fécondables). Aux USA, ils utilisent quasi systématiquement une synchronisation et inséminent à date programmée avant 70 jours. « Ces indicateurs de la reproduction sont certainement plus précis que les nôtres. Quant à l'usage systématique des hormones pour la synchronisation des chaleurs, c'est d'abord très coûteux et étant donné la taille de nos troupeaux, il est possible de gérer convenablement la reproduction d'un élevage laitier sans cet arsenal. Avec une attention particulière à la période du tarissement, une ration riche en énergie en début de lactation et, bien sûr, une détection des chaleurs la plus précise possible », assure Emmanuel Lepage. L'utilisation d'outils de monitoring (colliers, podomètres) devient alors indispensable avec l'augmentation du nombre de vaches dans les troupeaux. La transmission des informations entre les différents intervenants sur l'élevage est un autre point très important, souvent pris en défaut. Des outils informatiques sont désormais disponibles pour faciliter le flux : smartphone, tablette, écran en salle de traite, etc.

LE SANITAIRE, EN MODE PRÉVENTIF

Prévention et anticipation sont les maîtres mots du suivi sanitaire. La relation avec le vétérinaire est donc différente de ce que nous connaissons habituellement. Ses interventions curatives diminuent au profit de protocoles sanitaires préventifs, par exemple pour la gestion des mammites et des boiteries. Sur ce dernier point, le pareur intervient au minimum tous les six mois et pendant les phases sensibles : avant le tarissement et deux ou trois mois après le vêlage. « L'attention est aussi très forte sur la qualité du lait car les conséquences financières sont importantes. Assez curieusement, les managers de grands troupeaux sont aussi très sensibles aux médecines alternatives : phytothérapie, homéopathie, etc. D'ailleurs, les formations que Clasel organise mobilisent plutôt des élevages de grande taille. Car ils sont davantage sur l'anticipation et une baisse de consommation des antibiotiques prend vite une proportion plus importante chez eux. »

DOMINIQUE GRÉMY

© MARIE FAGGIANO

Dans les grands troupeaux, la relation avec le vétérinaire évolue. Ses interventions curatives diminuent au profit de protocoles sanitaires préventifs.

© YANN CAINJO

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